Ces derniers temps, l’envie de pisser ne me quitte plus. Je vous le dis comme je le ressens. J’entre dans une salle, si sérieuse que soit la chose que j’ai à y faire, l’envie d’aller aux toilettes me prend instantanément — c’est-à-dire à l’instant même où j’entre et à chaque instant passé dans cet endroit. C’est terrible ! Je ne suis pas sûr que vous puissiez imaginer. Surtout que je traite de sujets si graves dans ma vie d’étudiant en philosophie. Voyez : un cours sur la vive nécessité d’une pensée écologique par l’un des professeurs français les plus salués en cette matière ; et moi ? envie de pisser ! et ce, dès que je m’assois sur ma chaise. Le fluide jaunâtre se presse à l’embouchure de l’urètre. Et une pensée me vient, sans plus me quitter. Comme si… comme si la pisse m’envoyait des signaux. Sorte de révolte organique : l’urine, tout l’urètre, et l’orifice urogénital aussi : tous trois liés pour me vaincre. « La révolution des organes génitaux te guette, me disent-ils sournoisement, le renversement urinal est proche ! » Ah ça je n’en veux pas ! Imaginez un instant : des coups portés si fort que tout l’appareil génital risquerait d’exploser, d’imploser, dans tous les sens ; et la pisse gicler partout ; et l’eau de la fontaine, jaune, sera mêlée du pourpre sanguin, quelle affreuse couleur cela nous donnera-t-il ! C’est horrible ! Voilà où m’a déjà mené mon désespoir. J’imagine parfois des choses terribles lorsque cette envie chronique me prend… au cou, ou à la tête, ou à la verge, ou ailleurs, que sais-je ? Tout cela m’est bien égal.
Et tenez-vous bien, vous n’avez pas encore connaissance du pire. Lorsque, par chance, les circonstances se prêtent à une échappée hors de la classe, ou du bureau, ou de quelque espace clos qui m’angoisse, et que je peux me rendre aux toilettes, eh bien… rien ne se passe… absolument rien. Je vous jure ! Et c’est terrible. Pas une goutte qui daigne s’évader de l’arc distendu — assez ridicule il faut dire — que forme ma verge. Le fourmillement s’interrompt quelque peu, mais il faut parfois que je m’installe de longues minutes sur les toilettes pour que la lassitude réussisse finalement à vaincre l’envie de pisser.
Conjuguez ce terrible mal avec ce qui est mon bien le plus précieux : l’or jaune — couleur de pisse — et, pourrait-on dire, pisse en puissance : la bière. La bière, voilà sans doute la source de tous mes maux. À force d’en boire, d’en reboire et d’en reboire encore, la bière m’occupe tout entier. Mon cerveau — et cela j’en suis certain et sûr, même si vous ne me croirez pas — baigne dans la bière : tantôt il y nage joyeusement, tantôt il s’y noie dangereusement. Comment croyez-vous que mon cerveau tient en place sans trop bouger dans la « boîte crânienne » (quelle charmante expression !) ? Eh oui, eh oui, c’est la bière qui l’endigue, rien d’autre que ça. Alors vous comprendrez que l’on ait envie de pisser, inlassablement. Vous comprendrez que face à l’un des plus prestigieux penseurs de l’époque, l’envie me vienne immédiatement de pisser — et aux toilettes, soyez bien heureux de cela, je pense parfois à uriner par le col d’une bouteille tant l’envie m’est insupportable.
Parler de malheur, cela me réussit. Croyez-moi ou pas, voilà vingt minutes que j’écris et rien ne m’a traversé l’esprit qui soit en rapport avec l’envie d’uriner. Il ne me reste qu’à écrire pour lutter contre ma « pissomanie ». Bientôt paraîtra donc un roman signé de mon nom : Isidore/Cavour.